« Pretium Doloris » est l’adage latin qui signifie : le prix de la douleur, et à ce titre le droit à la réparation des victimes, envisage de plus en plus de prendre en compte les dommages corporels liés à un fait dommageable lié à des souffrances et préjudices psychologiques ressentis à l’occasion d’un fait ou un événement.
Le préjudice subi par une victime et ses proches, pour donner lieu à une indemnisation, doit cependant respecter le triptyque suivant : être certain, direct et déterminé.
La nomenclature Dintilhac de 2006 dresse une liste des préjudices, en proposant une classification qui sert de référence pour les professionnels de la réparation du dommage, afin de faciliter l’évaluation de l’indemnisation des préjudices et de les réparer le plus justement possible, selon le principe de réparation intégral, qui vise à remplacer la victime dans l’état le plus proche de celui où elle se trouvait avant. Néanmoins, lors du décès de la victime, ou si celle-ci a subi un dommage d’une gravité importante, toute compensation par une indemnisation du cadre de vie est exclue ou compliquée, de sorte qu’il soit nécessaire d'indemniser la souffrance.
Les derniers événements liés aux attentats ont induit la réflexion liée à l’inclusion de nouveaux postes de préjudices à la nomenclature actuelle, laquelle est non exhaustive : le préjudice d’attente et le préjudice d’angoisse de mort imminente.
La Cour de cassation fait application de la réparation de ces préjudices et en définit les contours, dans deux arrêts rendus en Chambre mixte le 25 mars 2022.
Dans la première décision (20-17.072), une mère de trois enfants décède des suites de ces blessures liées à un attentat.
L’une de ses filles demande l’indemnisation auprès du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme (FGTI), mais considère que celle proposée n’est pas suffisante et assigne alors le fond en réparation du préjudice.
Le FGTI considère qu’il a indemnisé le préjudice d'affection, pour l'ensemble des souffrances morales éprouvées par les proches à raison du fait dommageable subi par la victime directe, à l'origine de son décès, en plus d’avoir indemniser le « préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme ». De ce fait, l’organisme considère que couvrir le préjudice d’attente revient à indemniser une deuxième fois le préjudice des souffrances morales éprouvé par les proches. Mais la juridiction d’appel fait droit à la demande des ayants droit.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que le préjudice d’affection répare les conséquences de la perte éprouvée après le décès, or le préjudice d’attente doit indemniser les proches de la personne exposée à un danger, au péril de sa vie, sans avoir de connaissance réelle de sa situation. En ce sens, il est admis que les proches éprouvent une souffrance née de l’attente et de l’incertitude, délai constitutif d'un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l'événement individuel ou collectif.
En l’espèce, la victime a été recherchée par ses proches durant quatre jours dans les hôpitaux environnants le lieu de l’attentat, provoquant un état de totale ignorance quant à son état.
Par conséquent, la Cour de cassation reconnaît dans le préjudice d’attente un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement, qui ne saurait être confondu avec celui d’affection des victimes par ricochet ou aux autres préjudices liés à la victime.
Puisqu’il est autonome, la Haute juridiction rappelle que c’est le temps d’inquiétude dans lequel la victime par ricochet est restée dans l’incertitude sur l’état de son proche, qui est indemnisable.
Dans le deuxième arrêt (20-15.624), c’est en toute logique que la Cour de cassation reprend le raisonnement précédent.
Saisie par les proches d’une victime d’agression, sur la contestation du montant de l’indemnisation, la Cour d’appel constate que la victime agressée à l’arme blanche et présentant de multiples plaies sur le corps, a subi un dommage lourd, et a par conséquent éprouvé une souffrance importante.
Selon elle, la victime doit être indemnisée au titre des souffrances endurées, mais également sur la base d’une souffrance spécifique : le préjudice de l’angoisse de mort imminente.
Cette décision est appréciée au regard des faits, et notamment son état de conscience lui a laissé envisager la survenance de sa propre mort, face à une dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales, causée par une hémorragie interne et externe massive.
Ici, le FGTI reproche aux juges d’appel une double indemnisation du même préjudice, puisque celui d’angoisse de mort imminente est déjà inclut dans celui des souffrances endurées du fait des blessures mortelles.
La Cour de cassation valide la décision d’appel en ce que les juges ont fondé leur décision sur la preuve de l’existence de ce préjudice distinct, en appréciant les circonstances entourant le décès, mais également quant à la fixation du montant de l’indemnisation allouée. Elle explicite la notion de préjudice d’angoisse de mort imminente comme étant la souffrance morale liée à la conscience de la mort imminente de la victime, entre le moment de son agression et de son décès.
Ici également, ce qui est indemnisé c’est le laps de temps où la victime a suffisamment été consciente pour appréhender sa propre fin dans ces derniers instants de vie, à la fois remplis d’angoisse et de douleur.
Par ces décisions, la Cour de cassation consacre l’autonomie du préjudice d’attente et du préjudice d’angoisse de mort imminente, permettant d’envisager de nouveaux postes de préjudices. Reste à analyser l’application qui en sera faite par la jurisprudence à venir.
Référence : Cass. chb mixte du 25 mars 2022 n° 20-17.072 et 20-15.624
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